| Bertrand GODART C’est complètement stupide de prendre le clavier APRES. Je me dis que tout ce que j’ai envie de dire, tu aurais aimé le savoir avant. Je me réconforte du fait que la plupart des choses que j’ai envie de t’écrire, je te les avais déjà dites, en ces soirs de guindailles où nous nous retrouvions à analyser ton mal-être. Mais cela fait des années qu’on ne s’était pas croisés, je n’ai pas répété ces paroles. Au fond de moi, je sais que cela n’aurait probablement rien changé, mais en même temps je ne peux m’empêcher d’y songer : dire les choses aux gens qu’on aime, quand ils sont en vie, voilà qui est probablement bien plus productif que quand ils sont morts. Les mots que l'on prononce "après" peuvent cependant apporter un réconfort pour les gens qui t'étaient proches. Ces dernières années, nous n'avons fait que nous croiser. Mais avant, quand j'habitais Gedinne, nous avons passé beaucoup de temps ensemble. Souvent autour d'un verre. Ta disparition fait remonter des souvenirs, beaucoup, et je suis traversée ces derniers jours par ton sourire, ton rire, ta gentillesse, ta serviabilité, ton engagement envers tes amis. "Un si gentil garçon", ais-je lu. Oh oui, c'est bien vrai qu'il n'y avait absolument aucune méchanceté en toi, uniquement de la mélancolie par rapport à ta recherche du bonheur. On le pensait tous, que ce bonheur allait arriver, que c'était une mauvaise passe, que la vie réserve de bonnes surprises, que l'amitié était présente, qu'il y avait de bons moments quand même "oh et tu te souviens de la fois où ?" Bean. Je crois que chaque personne qui ressent de la tristesse aujourd'hui aura essayé de t'aider, un jour ou l'autre. Dans la vie, malheureusement, si on peut rendre service, on ne peut pas aider les autres : on ne peut que s'aider soi-même. Je garde en moi les bons souvenirs: les trajets en car jusqu'en Espagne où tu venais me chanter des chansons atroces à l'oreille pour m'empêcher de dormir, les rôles que tu t'attribuais (lieutenant Dan, le Riche Industriel), les idées loufoques qui nous faisaient hurler de rire, les perruques, ton air candide quand tu faisais une bonne blague, ce trajet épique vers le Carnaval de Binche où la porte de la soute à bagage du car s'ouvrait toute seule et tu hurlais "ON VA DÉCOLLEEEEEERRRR" . Sur le trajet, on s'est arrêté "en boire une" sur ta recommandation au petit local de la balle pelote de Villers-le-Gambon, et nous avions fêté une victoire avec les gens du village (avec farandole et tout le tralala-le chauffeur du car se demandait si on finirait par arriver à Binche), les perruques, les déguisements, le cigare que tu fumais avec l'air de celui qui sait et à qui on doit tout. Ces innombrables soirées au cinéma à jouer aux fléchettes et au couillon en refaisant le monde. Derrière ce bon vivant drôle et sympa, il y avait aussi cet homme sensible, que nous connaissions aussi, la profonde réflexion sur la vie, ton envie de partir vivre ailleurs, de voir d'autres choses, de connaître d'autres manières d'envisager l'existence, et ton envie de mourir, contre laquelle nous ne pouvions rien faire d'autre que de dire "mais Bean, on t'aime, regarde, on est là !" . Ces dernières années, je n'étais pas là. Mais quand je revenais au village boire un verre à l'hôtel, tu y étais. Et ça a été à chaque fois un bon moment. Aujourd'hui, je vais retrouver mon boulot, ma vie, mon couple, mes enfants. Je vais rentrer faire à manger, nettoyer ma maison, faire des courses. Mais dans mon quotidien, je saurai dorénavant que tu n'es plus de ce monde, et cela me rend vraiment très triste. Au delà de mes souvenirs et de l'absence que tu crées déjà à présent, je vais tenter de me concentrer sur une seule chose : on aura quand même bien rigolé. Merci pour tout. Anneso
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