| Monsieur Guy GOFFETTE cher Guy, cela faisait des lunes et des lunes que tu faisais allusion à tes soucis de santé. Tu le faisais avec sérieux et ironie, ce qui semblait te préserver de la camarde. Nous en avions encore parlé lors de ta venue chez Tropismes. En septembre de l'an dernier, retour de Burgos dont tu me fais parvenir une vue du cloître et de la porte de Santa Catalina -en réponse à mon envoi de la vue du château de Bussaco cher à Philippe Soupault -, tu parlais de "te distraire de ton mal " qui hypothéquait lecture et écriture. Dans tes voeux du 24 janvier, toujours dans ta grande écriture ouverte, aux caractères noirs d'encre, -tu t'inquiétais de ma santé-, tu parlais également de la tienne " en carton ", disais-tu. Tu terminais sur ton souhait de lire mes dernières réflexions sur trois anges du désastre en ajoutant : " tes anges m'intéressent fort au demeurant , s'ils pouvaient venir à mon secours. Je plaisante à peine." Tu en étais alors à devoir lire debout, " comme un vieux curé son bréviaire", et le faisais avec le Verhaeren de Stefan Zweig. C'est qu'il t'a toujours fallu lire et relire. En 2022, tu te ressources et te nourris des Mémoires de monsieur de Saint Simon, du Journal de Charles Du Bos et des textes de Michel de Ghelderode. Bref, tu es et seras toujours en Littérature. N'as-tu pas donné en 2011, pour le centième anniversaire de la naissance des éditions Gallimard, un merveilleux et décapant "Album Claudel", ce poète " souverainement marginal", ce dramaturge "tumultueux qui faisait danser comme personne sur les planches les images d'une vie abouchée à l''Absolu. Affronter Prouhèze ou les "Grandes Odes" n'est pas donné à quiconque t'allait à ravir. La soirée d'automne du10 novembre 2023 chez Tropismes te donna l'occasion de quelques saillies bien venues et bien senties à propos de notre littérature et de sa singularité. Tu tins à m'y associer avec insistance. C'était un de nos vieux combats, combat tel, qu'il y a bien longtemps, j'avais pensé à toi pour reprendre mes fonctions de conseiller littéraire du ministère à l'heure où je devenais commissaire au livre. En somme, tu l'es devenu, mais sous d'autres cieux, ils t'ont offert une vie plus large. Certes, à Paris, où ta joie de vivre et de boire faisait merveille, tu n'es jamais parvenu à faire vraiment sauter le verrou français hiérarchisant à l'égard des littératures francophones. " Placer un article sur un écrivain belge en France, m'écrivais-tu, c'est la croix et la bannière, crois-moi. J'ai essayé avec Loreau, van Hirtum, etc. A part la NRF, la Quinz er les revuettes, zéro." Même à la NRF, les portes s'étaient fermées. Tes papiers sur mes trois tomes d'"Histoire Forme et Sens en Littérature" n'ont jamais pu franchir ses portes d'airain. Ils impliqueraient une modification des discours et des points de vue, ceux-ci te semblaient essentiels . Nous ne cessâmes pas pour autant de nous croiser, avec des moments singuliers dont ce colloque Michaux de 1994 à Coimbra au cours duquel Bruno Roy, dans les couloirs , faisait l'éloge du salazarisme. Toi, tu pétais la flamme, le désir. et l'impertinence doucement insolente. Le passage- sans reniement du poétique- s'amorçait vers les proses, Il allait t'amener à faire resurgir sans fard une " enfance lingère" et ses diverses initiations dans ta Gaume natale. Nos rencontres pouvaient également être indirectes. De temps à autre, une étudiante ou une chercheuse étrangère survenue sur mes chemins de " Passeur des Francophonies" venait me poser des questions sur ton oeuvre ou, mieux encore, entretenir nos collègues d'une savante analyse de tes textes. Le hasard des routes fit en outre se retrouver à Bruxelles les vieux briscards que nous étions devenus, et qui passèrent des heures plus que mémorables. Comme si le sillon fécond du tournant du début des années nonante n'avait jamais été interrompu. Ni notre commune fidélité à Max Elskamp.
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